La cyberdépendance
Source : alpabem.qc.ca. Merci de partager ces informations précieuses.
Est-il approprié d’utiliser le terme « cyberdépendance » pour décrire cette problématique liée à l’ère de la technologie ? Les scientifiques et les chercheurs n’arrivent pas à un consensus, car ils contestent la notion de dépendance. Il n’existe pas encore d’indicateurs mesurables pour quantifier la durée et l’utilisation répétée d’Internet. Une définition claire et précise de ce syndrome est encore à venir, puisqu’il n’est toujours pas répertorié dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux).
Deux différentes études, l’une menée par Nawla et Anand, et l’autre par Niemz et al.,
qualifient de «cyberdépendance» une utilisation d’Internet qui dépasse deux heures par jour.
Scherer stipule que les cyberdépendants passent « deux fois plus de temps en ligne pour usage personnel que les autres internautes » (7).
La cyberdépendance identique au jeu pathologique ?
Il est possible de parler d’une dépendance, car les chercheurs, notamment Young, ont emprunté les critères diagnostiques du jeu pathologique à cause de leurs nombreuses similitudes.
Marie-Anne Sergerie et Jacques Lajoie, psychologues, ont remarqué une étroite ressemblance avec les troubles liés au contrôle des impulsions, trouble sous lequel est classé le jeu pathologique. Les symptômes s’apparentent à ceux-ci; préoccupations inadaptées par rapport à l’usage d’internet, usage étant irrésistible ou excessif se concrétisant par des périodes d’utilisation plus longues que prévues. L’usage ou les préoccupations associées à l’utilisation d’Internet provoquent une détresse significative ou une altération importante du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres sphères de la vie.
Le Web peut aussi devenir une échappatoire, une fuite devant les problèmes réels qui entraîne les cyberdépendants vers un univers virtuel où les tracas n’existent pas.
Une étude menée auprès de 17 000 internautes
En prenant en considération de l’inexactitude de la terminologie, il devient ardu d’obtenir des statistiques fiables et justes. Certains chercheurs ont obtenu des pourcentages plus élevés pour quantifier l’ampleur de la problématique, mais les résultats demeurent contestés.
L’étude de Greenfield est la plus laborieuse jusqu’à présent, puisqu’elle a été menée auprès de 17 000 internautes. À la suite d’un sondage réalisé en ligne, 6 % des sujets se sont déclarés cyberdépendants. Jusqu’à présent, cette prévalence est la plus fiable et l’une des plus utilisées par la communauté scientifique. À titre indicatif, « au Canada, 90 % des 18-24 ans passent en moyenne 17.6 heures par semaine en ligne » (7). Selon une enquête réalisée par NETendances, en décembre 2004, parmi les Québécois d’âge adulte, 60 % font usage du Web de façon hebdomadaire (Jacob et al., 2005) (5)
Que fait-on sur Internet ?
Internet transcende le 21e siècle et offre une multitude de possibilités. Les gens qui le consultent poursuivent des objectifs différents. Le type d’usage varie donc en fonction des besoins de chacun. Dans un premier temps, les cyber-relations sont des facteurs d’utilisation extrêmement fréquents puisqu’elles suscitent beaucoup d’intérêt. De prime abord, l’anonymat offre la chance de s’exprimer sans craindre les réactions et le jugement de l’interlocuteur. De plus, le fait de ne pas être présent physiquement entraîne une diminution des inhibitions et facilite la divulgation des émotions et des pensées (10).
La communication devient donc moins menaçante, un sentiment de confort s’installe, ce qui favorise le développement de l’intimité et le dévoilement de confidences. Des sujets prohibés peuvent alors être abordés puisque les restrictions des conventions sociales sont écartées.
La dynamique des cyber-relations se distingue des interactions de la vie courante et peut paraître plus attrayante (9).
60% des mots recherchés sur internet sont des mots à caractère … sexuel.
Il n’est pas rare que l’interlocuteur virtuel soit idéalisé, ayant pour effet d’amplifier la perception du potentiel séducteur. Par ailleurs, l’absence physique de l’autre engendre l’augmentation de l’aisance pour aborder le sujet de la sexualité. Effectivement, la sexualité suscite la curiosité et l’intérêt des gens. Pour illustrer l’ampleur de ce phénomène, « une étude exploratoire sur les requêtes effectuées dans des moteurs de recherche révèle que déjà, en octobre 1996, environ 60 % des 50 mots les plus fréquemment utilisés dans le moteur de recherche Yahoo étaient des mots à caractère sexuel » (5). Ainsi, l’utilisation du Web à des fins sexuelles est prédominante, notamment parce que les normes sociales ne tiennent plus. Chacun peut surfer où bon lui semble, dans le confort de son salon et dans l’anonymat (8).
Beaucoup de joueurs
Les possibilités offertes par Internet étant constamment repoussées, le potentiel créatif est infini, de même que les options de diffusion. Les amateurs de jeux d’action et d’aventures en sont donc satisfaits. Il faut également se rappeler que les joueurs peuvent communiquer entre eux, ce qui ajoute un élément d’interactivité sociale. Le type de jeux choisis par une personne correspond au type de besoins qu’elle désire combler (13).
Une étude scientifique réalisée par Everquest stipule que la moyenne d’âge des utilisateurs de jeux en ligne est de 28 ans et que 34 % d’entre eux ont complété un diplôme universitaire.
Cette population d’internautes passe en moyenne 25 heures par semaine pour les adultes et 50 heures par semaine pour les adolescents, notamment parce que ces derniers ont plus de temps pour surfer sur le web (2).
À la recherche d’informations
L’accessibilité d’Internet permet également aux adeptes des jeux de hasard et d’argent de s’adonner à leur passe-temps préféré à même leur domicile, sans avoir besoin de se déplacer. L’un des usages d’Internet le plus fréquent est évidemment la recherche d’informations. Il va sans dire que l’abondance des sujets disponibles grâce à quelques clics de souris facilite l’acquisition de connaissances. D’ailleurs, beaucoup de gens s’y réfèrent religieusement. Ces informations sont-elles crédibles et véridiques ? Notre jugement critique devient alors notre meilleur atout pour analyser les renseignements qui nous sont offerts.
Qui est à risque de devenir cyberdépendant ?
Certains facteurs prédisposent les individus à devenir cyberdépendants. Il faut comprendre que ce n’est pas systématique, mais plutôt que certaines personnes seraient plus vulnérables par rapport à cette problématique. Dans un premier temps, l’isolement social est un aspect souvent mentionné dans la littérature. La timidité ou un style de vie marginal sont également en cause, puisqu’Internet offre une panoplie de regroupements auxquels une personne peut s’identifier. Le développement d’un sentiment d’appartenance à un réseau ou à une communauté peut engendrer une augmentation des heures d’utilisation d’Internet (5).
Faible estime de soi
Donc, la recherche d’identification et d’estime de soi représente d’autres motifs pour trouver refuge dans le cyberespace. Par l’entremise des cyber-relations, la recherche de la gratification, de la reconnaissance et du dévoilement de soi renforce l’utilisation du Web, puisque l’internaute en obtient un bénéfice (5-10). Le besoin d’approbation sous-jacent exerce une influence considérable, car l’utilisateur en retire une valorisation. Une personne vivant des difficultés d’affirmation de soi peut s’exprimer plus aisément sur Internet. L’absence physique de l’interlocuteur évite la communication non verbale, telle que le contact visuel. La personne se sent moins intimidée et plus à l’aise d’extérioriser ses pensées (11).
La vulnérabilité au rejet ainsi que le manque de support social sont également des facteurs qui prédisposent à la cyberdépendance (5-7). Sachant qu’Internet permet de garder une distance physique, les personnes atteintes d’un trouble de l’intimité peuvent esquiver les relations émotionnelles (6). L’usage du Web peut être utilisé comme une fuite, un évitement ou un soulagement à l’égard des difficultés de la vie quotidienne (8).
L’anxiété et la phobie sociale
La présence d’une psychopathologie, telle que l’anxiété sociale (3), l’agoraphobie ou la phobie sociale (12), est un facteur qui peut susciter le développement de la cyberdépendance.
En utilisant Internet, certaines personnes n’ont plus besoin d’aller à l’extérieur pour communiquer, il n’est plus nécessaire d’affronter des gens. Une personne aux prises avec une personnalité paranoïaque peut utiliser Internet pour projeter ses délires de persécution et de violence (6). L’utilisation des réseaux sociaux peut alimenter un individu touché par le trouble de personnalité narcissique, car les manifestations peuvent s’amplifier par l’autopromotion et l’augmentation du nombre d’amis virtuels (1).
D’autre part, puisque les liens sont limités, il est possible que l’utilisation du Web soit suffisante pour répondre aux besoins de socialisation d’une personne atteinte de schizophrénie et, par le fait même, prolonger l’isolement social (10). Au niveau de la dépression, les études sont mitigées. Pour certains, Internet peut être vu comme une opportunité pour s’ouvrir et pour se confier, donc un moyen d’expression qui permet de rompre l’isolement (13). D’un autre côté, l’usage d’Internet peut augmenter la dépression si cela engendre l’isolement social (11).
Quels sont les risques ?
De prime abord, il faut savoir que les répercussions de la cyberdépendance varient en fonction de l’intensité et de la gravité de ses manifestations dans la vie d’une personne. Il faut donc relativiser l’utilisation qui en est faite, car le contrôle de la durée et de la fréquence peut donner un indice de ce qui est normal ou non. Quant à la recherche d’informations, une problématique émerge, soit l’infobésité.
Plus spécifiquement, « l’infobésité fait référence à l’incapacité à retirer les connaissances et les informations pertinentes d’une grande masse de renseignements (Nelson 1997). En effet, l’infobésité peut survenir lorsqu’une personne n’arrive pas à comprendre l’information disponible, qu’elle se sent submergée par la quantité d’informations à comprendre… » (4). Dans l’éventualité où une personne vit de la cyberdépendance, il peut aussi arriver que ses relations affectives et sociales soient perturbées (9).
L’isolement peut être une cause, mais aussi une conséquence de l’abus d’utilisation du Web, ce qui peut générer de l’anxiété. En entretenant plusieurs relations superficielles sur le Web, l’engagement et l’intimité dans les interactions sociales réelles s’amoindrissent (13). Ainsi, cela peut se juxtaposer à une diminution des capacités d’adaptation et des habiletés sociales.
Lorsqu’on parle de dépendance, il est possible de constater des répercussions dans diverses sphères de la vie, par exemple, le fait de négliger ses obligations. Puisque l’individu consacre une grande partie de son temps sur Internet, l’absentéisme scolaire ou professionnel devient envisageable, pouvant même conduire à la perte de l’emploi ou mettre en péril les études. Le manque de sommeil, de même qu’une perte de motivation sont des symptômes de la cyberdépendance, s’apparentant à ceux de la dépression et de la schizophrénie (11).
Par ailleurs, l’anédonie, soit l’insensibilité au plaisir, compte parmi les conséquences possibles, qui sont aussi reliées aux deux maladies précédemment mentionnées.
Quoi faire si je pense que mon proche est cyberdépendant?
Malgré la reconnaissance de la problématique de la cyberdépendance par le ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec en 2004 (7), l’accessibilité à des services spécifiques pour traiter la cyberdépendance est rare.
Actuellement, le Centre Dollard-Cormier reçoit les personnes aux prises avec la cyberdépendance. Ils abordent, entre autres, la gestion du temps, les sources d’insatisfaction, la diminution de l’anxiété et le développement de réseaux sociaux (2). Ce centre de réhabilitation travaille à la conception d’un programme spécifique pour le traitement de la cyberdépendance. Une recherche scientifique est présentement en cours afin d’obtenir des appuis théoriques solides qui répondront aux besoins des Québécois, en collaboration avec le centre le Maillon de Laval et d’autres centres de réhabilitation sur le territoire québécois.
De plus, il est possible de consulter en psychothérapie, car certains professionnels se sont spécialisés dans le traitement de cette dépendance. Par ailleurs, il est possible de procéder à une désensibilisation progressive, donc de faire un sevrage, et ce dans la même optique qu’une dépendance aux psychotropes. L’auto-observation à l’aide d’une banque d’heures prédéterminées par semaine peut aider la personne à prendre conscience de la fréquence et la durée de son utilisation d’Internet. Au départ, Internet a été un outil exceptionnel de recherche et d’avancement pour la société.
En considérant que nous avons maintenant la possibilité d’avoir Internet à tout moment, avec les nouveaux téléphones intelligents, sommes-nous en mesure d’en dire autant ?
Bibliographie
1. CHREVIER N. et M. SERGERIE. « Le phénomène Facebook : Comprendre l’impact du Web 2.0 dans la vie des clients », Psychologie Québec, vol. 26, n° 2 (2009), p.23-25.
2. DUFOUR M., et M. PARENT. « La dépendance à Internet : Problématique virtuelle ou réelle ? », Echotoxico (janvier 2009), p. 6-7.
3. HARDIE E. et M. YI TEE. « Excessive Internet Use : The Role of Personality, Loneliness and Social Support Networks in Internet Addiction », Australian Journal of Emerging technologies and Society, vol. 5, n° 1 (2007), p. 34-47.
4. LAJOIE J., et M. SERGERIE. « Internet : usage problématique et usage approprié », Revue québécoise de psychologie, vol. 28 (2007), p.149-159.
5. SERGERIE, M. Usage problématique d’Internet, Thèse de maîtrise, Université du Québec à Montréal (2005), 63p.
6. SEYS B. « Place et rôle des usages des jeux vidéo et d’Internet dans la souffrance psychologique », Les Cahiers du numérique, vol. 4, n° 2 (2003), p. 117-134.
Adresse URL : www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2003-2-page-117.htm.
7. VAUGEOIS, P. « La cyberdépendance : fondements et perspectives », Centre québécois de lutte aux dépendances (2006), 40 p.
8. YOUNG K., et al. « Cyber-Disorders: The Mental Health Concern for the New Millenium », CybersPsychology & Behavior, 3(5) (2000), p. 475-479.
9. YOUNG K. « Internet Addiction, A New Clinical Phenomenon and Its Consequences», American Behavioral Scientist, vol. 48, n° 4 (2004), p. 402-415.
10. YOUNG K., et R.RODGERS. Internet Addiction : Personality Traits Associated with Its Development, Annual meeting of the Eastern Psychological Association, University of Pittsburg, Bradford (1998), p. 1-6.
11. YOUNG K., et R. RODGERS. « The Relationship Between Depression and Internet Addiction », CyberPsychology & Behavior, 1 (1) (1998), p. 25-28.
Livres
12. JEAN N. Guérir de soi, Édition Dauphin blanc, 2009.
13. MINOTTE P. Cyberdépendance et autres croquemitaines, Édition Faber, 2010, Belgique, 65 p.